La Charte constitutionnelle du 14 août 1830
LOUIS-PHILIPPE, ROI DES FRANÇAIS, à tous présents
et à venir, SALUT. - NOUS AVONS ORDONNÉ ET ORDONNONS
que la Charte constitutionnelle de 1814, telle qu'elle a été
amendée par les deux Chambres le 7 août et acceptée
par nous le 9, sera de nouveau publiée dans les termes
suivants :
Droit public des Français
ARTICLE PREMIER. - Les Français sont égaux devant
la loi, quels que soient d'ailleurs leurs titres et leurs rangs.
ART. 2. - Ils contribuent indistinctement, dans la proportion
de leur fortune, aux charges de l'Etat.
ART. 3. - Ils sont tous également admissibles aux emplois
civils et militaires.
ART. 4. - Leur liberté individuelle est également
garantie, personne ne pouvant être poursuivi ni arrêté
que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu'elle
prescrit.
ART. 5. - Chacun professe sa religion avec une égale liberté,
et obtient pour son culte la même protection.
ART. 6. - Les ministres de la religion catholique,
apostolique et romaine, professée par la majorité
des Français, et ceux des autres cultes chrétiens,
reçoivent des traitements du Trésor public.
ART. 7. - Les Français ont le droit de publier et de faire
imprimer leurs opinions en se conformant aux lois. - La censure
ne pourra jamais être rétablie.
ART. 8. - Toutes les propriétés sont inviolables,
sans aucune exception de celles qu'on appelle nationales, la
loi ne mettant aucune différence entre elles.
ART. 9. - L'Etat peut exiger le sacrifice d'une propriété
pour cause d'intérêt public légalement constaté,
mais avec une indemnité préalable.
ART. 10. - Toutes recherches des opinions
et des votes émis jusqu'à la Restauration sont
interdites : le même oubli est commandé aux tribunaux
et aux citoyens.
ART. 11. - La conscription est abolie. Le mode de recrutement
de l'armée de terre et de mer est déterminé
par une loi.
Formes du gouvernement du roi
ART. 12. - La personne du roi est inviolable et sacrée.
Ses ministres sont responsables. Au roi seul appartient la puissance
exécutive.
ART. 13. - Le roi est le chef suprême de l'Etat ; il commande
les forces de terre et de mer, déclare la guerre, fait
les traités de paix, d'alliance et de commerce, nomme
à tous les emplois d'administration publique, et fait
les règlements et ordonnances nécessaires pour
l'exécution des lois, sans pouvoir jamais ni suspendre
les lois elles-mêmes ni dispenser de leur exécution.
- Toutefois aucune troupe étrangère ne pourra être
admise au service de l'Etat qu'en vertu d'une loi.
ART. 14. - La puissance législative s'exerce collectivement
par le roi, la Chambre des pairs et la Chambre des députés.
ART. 15. - La proposition des lois appartient
au roi, à la Chambre des pairs et à la Chambre
des députés. - Néanmoins toute loi d'impôt
doit être d'abord votée par la Chambre des députés.
ART. 16. - Toute loi doit être discutée et votée
librement par la majorité de chacune des deux Chambres.
ART. 17. - Si une proposition de loi a été rejetée
par l'un des trois pouvoirs, elle ne pourra être représentée
dans la même session.
ART. 18. - Le roi seul sanctionne et promulgue les lois.
ART. 19. - La liste civile est fixée pour toute la durée
du règne par la première législature assemblée
depuis l'avènement du roi.
De la Chambre des pairs
ART. 20. - La Chambre des pairs est une portion essentielle
de la puissance législative.
ART. 21. - Elle est convoquée par le roi en même
temps que la Chambre des députés. La session de
l'une commence et finit en même temps que celle de l'autre.
ART. 22. - Toute assemblée de la Chambre des pairs qui
serait tenue hors du temps de la session de la Chambre des députés,
est illicite et nulle de plein droit, sauf le seul cas où
elle est réunie comme cour de justice, et alors elle ne
peut exercer que des fonctions judiciaires.
ART. 23. - La nomination des pairs de France appartient au roi.
Leur nombre est illimité : il peut en varier les dignités,
les nommer à vie ou les rendre héréditaires,
selon sa volonté.
ART. 24. - Les pairs ont entrée dans la Chambre à
vingt-cinq ans, et voix délibérative à trente
ans seulement.
ART. 25. - La Chambre des pairs est présidée par
le chancelier de France, et, en son absence, par un pair nommé
par le roi.
ART. 26. - Les princes du sang sont pairs par droit de naissance
: ils siègent immédiatement après le président.
ART. 27. - Les séances de la Chambre des pairs sont publiques,
comme celles de la Chambre des députés.
ART. 28. - La Chambre des pairs connaît des crimes de haute
trahison et des attentats à la sûreté de
l'Etat, qui seront définis par la loi.
ART. 29. - Aucun pair ne peut être arrêté
que de l'autorité de la Chambre et jugé que par
elle en matière criminelle.
De la Chambre des députés
ART. 30. - La Chambre des députés sera composée
des députés élus par les collèges
électoraux dont l'organisation sera déterminée
par des lois.
ART. 31. - Les députés sont élus pour cinq
ans.
ART. 32. - Aucun député ne peut être admis
dans la Chambre, s'il n'est âgé de trente ans et
s'il ne réunit les autres conditions déterminées
par la loi.
ART. 33. - Si néanmoins il ne se trouvait pas dans le
département cinquante personnes de l'âge indiqué
payant le cens d'éligibilité déterminé
par la loi, leur nombre sera complété par les plus
imposés au-dessous du taux de ce cens, et ceux-ci pourront
être élus concurremment avec les premiers.
ART. 34. - Nul n'est électeur, s'il a moins de vingt-cinq
ans, et s'il ne réunit les autres conditions déterminées
par la loi.
ART. 35. - Les présidents des collèges électoraux
sont nommés par les électeurs.
ART. 36. - La moitié au moins des députés
sera choisie parmi les éligibles qui ont leur domicile
dans le département.
ART. 37. - Le président de la Chambre des députés
est élu par elle à l'ouverture de chaque session.
ART. 38. - Les séances de la Chambre
sont publiques mais la demande de cinq membres suffit pour qu'elle
se forme en Comité secret.
ART. 39. - La Chambre se partage en bureaux
pou discuter les projets qui lui ont été présentés
de la part du roi.
ART. 40. - Aucun impôt ne peut être établi
ni perçu, s'il n'a été consenti par les
deux Chambres et sanctionné par le roi.
ART. 41. - L'impôt foncier n'est consenti que pour un an.
Les impositions indirectes peuvent l'être pour plusieurs
années.
ART. 42. - Le roi convoque chaque année
les deux Chambres : il les proroge et peut dissoudre celle des
députés ; mais, dans ce cas, il doit en convoquer
une nouvelle dans le délai de trois mois.
ART. 43. - Aucune contrainte par corps ne peut être exercée
contre un membre de la Chambre durant la session et dans les
six semaines qui l'auront précédée ou suivie.
ART. 44. - Aucun membre de la Chambre ne peut, pendant la durée
de la session, être poursuivi ni arrêté en
matière criminelle, sauf le cas de flagrant délit,
qu'après que la Chambre a permis sa poursuite.
ART. 45. - Toute pétition à l'une ou à l'autre
des Chambres ne peut être faite et présentée
que par écrit : la loi interdit d'en apporter en personne
et à la barre.
Des ministres
ART. 46. - Les ministres peuvent être
membres de la Chambre des pairs ou de la Chambre des députés.
- Ils ont en outre leur entrée dans l'une ou l'autre Chambre
et doivent être entendus quand ils le demandent.
ART. 47. - La Chambre des députés
a le droit d'accuser les ministres et de les traduire devant
la Chambre des pairs qui seule a celui de les juger.
De l'Ordre judiciaire
ART. 48. - Toute justice émane du roi ; elle s'administre
en son nom par des juges qu'il nomme et qu'il institue.
ART. 49. - Les juges nommés par le roi sont inamovibles.
ART. 50. - Les cours et tribunaux ordinaires actuellement existants
sont maintenus. Il n'y sera rien changé qu'en vertu d'une
loi.
ART. 51. - L'institution actuelle des juges de commerce est conservée.
ART. 52. - La justice de paix est également conservée.
Les juges de paix, quoique nommés par le roi, ne sont
point inamovibles.
ART. 53. - Nul ne pourra être distrait de ses juges naturels.
ART. 54. - Il ne pourra en conséquence être créé
de commissions et de tribunaux extraordinaires, à quelque
titre et sous quelque dénomination que ce puisse être.
ART. 55. - Les débats seront publics en matière
criminelle, à moins que cette publicité ne soit
dangereuse pour l'ordre et les moeurs ; et, dans ce cas, le tribunal
le déclare par un jugement.
ART. 56. - L'institution des jurés est conservée.
Les changements qu'une plus longue expérience ferait juger
nécessaires, ne peuvent être effectués que
par une loi.
ART. 57. - La peine de la confiscation des biens est abolie et
ne pourra pas être rétablie.
ART. 58. - Le roi a le droit de faire grâce et celui de
commuer les peines.
ART. 59. - Le Code civil et les lois actuellement existantes
qui ne sont pas contraires à la présente charte
restent en vigueur jusqu'à ce qu'il y soit légalement
dérogé.
Droits particuliers garantis par l'Etat
ART. 60. - Les militaires en activité de service, les
officiers et soldats en retraite, les veuves, les officiers,
et soldats pensionnés, conserveront leurs grades, honneurs
et pensions.
ART. 61. - La dette publique est garantie. Toute espèce
d'engagement pris par l'Etat avec ses créanciers est inviolable.
ART. 62. - La noblesse ancienne reprend ses titres, la nouvelle
conserve les siens. Le roi fait des nobles à volonté
; mais il ne leur accorde que des rangs et des honneurs, sans
aucune exemption des charges et des devoirs de la société.
ART. 63. - La Légion d'honneur est maintenue. Le roi déterminera
les règlements intérieurs et la décoration.
ART. 64. - Les colonies sont régies par des lois particulières.
ART. 65. - Le roi et ses successeurs jureront à leur avènement,
en présence des Chambres réunies, d'observer fidèlement
la Charte constitutionnelle.
ART. 66. - La présente Charte et tous les droits qu'elle
consacre demeurent confiés au patriotisme et au courage
des gardes nationales et de tous les citoyens français.
ART. 67. - La France reprend ses couleurs. A l'avenir, il ne
sera plus porté d'autre cocarde que la cocarde tricolore.
Dispositions particulières
ART. 68. - Toutes les nominations et créations nouvelles
de pairs faites sous le règne du roi Charles X sont déclarées
nulles et non avenues. - L'article 23 de la charte sera soumis
à un nouvel examen dans la session de 1831.
ART. 69. - Il sera pourvu successivement par des lois séparées
et dans le plus court délai possible aux objets qui suivent
: 1° L'application du jury aux délits de la presse
et aux délits politiques ; 2° La responsabilité
des ministres et des autres agents du pouvoir ; 3° La réélection
des députés promus à des fonctions publiques
salariées ; 4° Le vote annuel du contingent de l'armée
; 5° L'organisation de la garde nationale, avec intervention
des gardes nationaux dans le choix de leurs officiers ; 6°
Des dispositions qui assurent d'une manière légale
l'état des officiers de tout grade de terre et de mer
; 7° Des institutions départementales et municipales
fondées sur un système électif ; 8°
L'instruction publique et la liberté de l'enseignements
; 9° L'abolition du double vote et la fixation des conditions
électorales et d'éligibilité.
ART. 70. - Toutes les lois et ordonnances,
en ce qu'elles ont de contraire aux dispositions adoptées
pour la réforme de la Charte, sont dès à
présent et demeurent annulées et abrogées.
[Charte du
4 juin 1814] [Index]