Monarchie de Juillet...

 
Les limites de la Monarchie de juillet

En dépit de ce caractère incontestablement plus démocratique de la Monarchie de juillet par rapport à l'Ancien Régime ou la Restauration, celle-ci ne paviendra jamais à instaurer une véritable démocratie, en raison des limites que vont atteindre les réformes, de la satisfaction générale des parlementaires, de la passivité du peuple ainsi que de l'évolution du rôle joué roi relativement aux principes de 1830.

 

Les limites des réformes

Il est assez étonnant de constater la volonté d'un régime qui se veut en partie d'essence démocratique de ne pas évoquer le passé et d'éviter des débats qui pourraient lui nuire, proscrivant ainsi « toutes recherches des opinions et des votes émis jusqu'à la Restauration » (Art. 10) comme durant la période 1815-1830 (Art. 11).

Le droit de vote, s'il est étendu, n'est pas accordé de fait à tous les Français ; il s'agit du principe même du suffrage censitaire qui limite le droit de vote à une minorité aisée de bourgeois. Le corps électoral ne dépassera pas les 250 000 électeurs à la fin du régime. D'autre part, pour 200 000 en censitaires en France, il n'y a qu'un rapport d'un électeur pour 170 habitants. En comparaison, la Grande Bretagne en compte en moyenne un pour 26 habitants depuis la Refom Bill de 1832. Le royaume britannique avait alors délibérément opté pour une extension du droit de vote afin d'apaiser les revendications populaires.

Certains, comme François Guizot, regrettèrent de ne pas avoir su profiter des Trois Glorieuses pour introduire le suffrage universel comme le demandaient les milieux ouvriers. Mais ceux-ci n'avaient pas eu voix au chapitre, car la Charte ne fut jamais soumise à un quelconque référendum avant son institution.

Cette volonté des bourgeois de limiter le corps électoral tient au fait que leur motivation consistait bien davantage à s'arroger une partie du pouvoir politique des aristocrates qu'à établir un système de démocratie représentative de l'ensemble de la population. Les bourgeois redoutent une telle perspective, craignant de déstabiliser le régime. Cela tient selon Jean-Jacques Chevalier à « l'esprit d'indépendance, pour ne pas dire indiscipline, cette répugnance à s'encadrer dans un parti bien précis, et à y rester, qui caractérise les parlementaires bourgeois en France ». Selon Montesquieu, ce type d'organisation de la vie politique tiendrait davantage de l'aristocratie dans la mesure où seule une partie de la population dispose de la souveraineté et que « le reste du peuple n'est tout au plus à leur égard, que comme, dans une monarchie [absolue], les sujets sont à l'égard du monarque ».

 

Déclin de la classe politique et abus de pouvoir

Le mode de scrutin se révèle inadapté et source de problèmes structurels. Les 459 collèges électoraux élisant les députés affichaient des disparités assez flagrantes au niveau du nombre d'électeurs. Ainsi certains arrondissements électoraux avaient seulement 150 électeurs, c'est à dire le minimum légal. Ce faible nombre d'électeurs dans certains arrondissements remettait en cause la représentativité de la Chambre des députés, dans la mesure où il s'agissait bien souvent d'un vaste marchandage. Dans certains arrondissements, le débat politique avait tendance à être éclipsé par l'importance de la personnalité de certains candidats, qui avait parfois la regrettable conséquence de primer sur les débats d'idées.

De manière plus générale, le système de monarchie parlementaire dans son ensemble sera progressivement gangrené par des dysfonctionnements et des conflits. La Monarchie de juillet fut ainsi marquée par une instabilité chronique de ses ministères, avec pas moins de 17 ministères en 18 ans d'existence. Mais curieusement, ces changements d'une partie de l'exécutif ne furent pas accompagnés d'un renouvellement important des personnalités se voyant confié un portefeuille : des personnages comme Adolphe Thiers, qui obtenu un portefeuille dans six ministères, ainsi que François Guizot et Dûchatel, qui en obtinrent chacun huit, attestent à eux seuls de la nature des changements au sein des ministères. L'explication de cette instabilité réside essentiellement dans la permanence des querelles personnelles qui opposent les hommes en poste au ministère. Et bien souvent ces querelles seront attisées par le roi en personne...

Durant les premières années de son règne Louis-Philippe se soucia pour l'essentiel de sa famille, qu'il s'agisse de l'avenir de ses enfants ou de son enrichissement personnel. Le prestige royal fut progressivement terni par ce roi jugé bourgeois et simplement invité à prendre place sur le trône. C'est alors que le roi n'aura « qu'une pensée : dépouiller sa condition de parvenu de la royauté et prendre rand dans les grandes familles souveraines » selon les termes de Jean-Jacques Chevalier. Louis-Philippe Ier ne souhaite plus seulement régner mais également gouverner. Pour parvenir à ses fins, le roi va abuser des dispositions dont il bénéficie et jouer sur les faiblesses du régime parlementaire pour pouvoir reprendre un contrôle effectif. Louis-Philippe n'a pas hésité à utiliser plusieurs fois du droit de dissolution de la Chambre des députés pour favoriser l'émergence d'une frange de députés qui lui étaient favorables et peu enclins à exercer leur droit de contrôle sur le ministère. De même, la plupart des présidents du Conseil nommés par Louis-Philippe étaient réputés pour opposer peu de résistance aux volontés du roi. Néanmoins, dans un souci de conserver les apparences vis à vis du parlement, et du peuple, il ne s'oppose pas au départ de certains ministres quand cela est exigé par le parlement.

 

Raidissement du régime

Les efforts du roi furent plus marqués à partir de 1835, date à laquelle il fit publiquement état de son hostilité à la politique relativement indépendante conduite par le triumvirat Broglie-Guizot-Thiers depuis la mise en place son ministère en octobre 1832. Mais c'est avec la constitution du ministère « Soult-Guizot » avec la majorité du parti de la « résistance » le 29 octobre 1840 que Louis-Philippe obtint le plus d'influence sur la politique de la nation.

François Guizot qui étaient pourtant à l'origine de la réforme de l'école primaire en tant que ministre de l'Instruction publique (1832-37) aux convictions républicaines tend à devenir plus conservateur et devient ainsi le bras droit de Soult, avant de remplacer Soult en 1847 et de soutenir le mode gouvernement du roi.

Avec le ministère de Soult s'installe une certaine constance ministérielle qui faisait défaut, mais surtout un immobilisme en France qui sera dommageable à l'esprit démocratique. Sous ce ministère, le président du Conseil accordera régulièrement des places, concessions de grandes entreprises, fructueux marchés avec l'Etat et même de l'argent à la veille de votes importants. De manière générale, les relations entre l'administration et le parlement, avec le système des « députés-fonctionnaires", la dépolitisation des débats sous le ministère de Thiers, les manipulations des élections et les grandes affaires corrompent la vie politique.

Après une période de relative prospérité, la France entra à la fin de l'année 1842 dans une période plus difficile, qui s'agressera en 1846-47 avec une mauvaise récolte. La population ouvrière dont la situation était restée difficile fut rejointe par d'autres catégories sociales mécontentes dans son opposition au régime.

Pour tenter de mettre fin aux agitations politiques de tous bord qui commençaient à troubler le pays et remettaient en cause le régime la Monarchie de juillet, une loi fut votée contre la liberté d'associations, interdisant aux Français de se rassembler pour traiter d'affaires publiques. Une parade, « la campagne des banquets » sera cependant trouvée en juillet 1847 ; les discussions lors de banquets permettent de contourner les nouvelles restrictions. La presse pour sa part est à nouveau étroitement surveillé à la suite du vote d'une loi en septembre 1835, comme sous le règne de Charles X.

De manière assez significative à partir de 1840, les parlementaires bourgeois se détourneront progressivement eux même du débat politique pour s'intéresser davantage aux formidables opportunités d'enrichissement qu'apporte l'avènement du chemin de fer. La forte croissance économique que connaît la France durant la majeure partie de la période que couvre la Monarchie de juillet sera providentielle à la minorité dirigeante puisque le peuple se soucie moins des questions politiques qu'en temps de crise. Mais les débats de l'assemblée s'orientent de plus en plus vers des questions économiques pas totalement désintéressées, et la perception du régime comme une oligarchie de propriétaires et spéculateurs financiers fait son chemin et notamment chez des personnalités comme Alexis de Tocqueville ou encore Karl Marx.

 

Le modèle britannique ?

La transposition du modèle britannique en France, tel que le souhaitait Louis XVIII n'a de toute évidence pas su faire ses preuves de ce côté-ci de la manche. De ce point de vue il est important de préciser que la monarchie constitutionnelle repose alors sur une constitution coutumière et quelques textes fondamentaux comme la Grande Charte (Magna Carta) de 1215, l'Habeas Corpus de 1679, le Bill of rights de 1689 ou encore la Rule of Law qui définit un état d'esprit d'organisation politique. La culture politique britannique repose donc essentiellement sur le caractère consensuel de sa culture politique, suppléée de réformes allant dans le sens d'un assouplissement démocratique, ce qui lui a permis d'acquérir une certaine stabilité par rapport aux autres nations européennes.

Sous la Monarchie de juillet, cet équilibre entre pouvoir royal et pouvoir parlementaire ne pouvait à l'évidence être établi . Outre les ambitions personnelles de Louis-Philippe Ier qui furent sans conteste préjudiciables à cet équilibre, il est important de constater que dès 1830, le parti du « mouvement » et celui de la « résistance » se distinguaient par le fait que le premier considérait la Charte comme une étape intermédiaire vers une régime plus démocratique, alors que le second tenait la Charte comme une ultime concession faite au peuple.

D'autre part, il est important de souligner qu'il exista de multiple tentatives de reverser la Monarchie de juillet tout au long de son existence, suscitées par les déceptions politiques comme par les aspirations plus personnelles : les agitations populaires de Paris avec l'épidémie de choléra (1832), les révoltes ouvrières à Lyon (1831 et 1834) mais également la tentative d'insurrection de la duchesse de Berry en Vendée (1831), celle de Louis-Napoléon Bonaparte de soulever la garnison de Strasbourg (1836) ou la tentative d'assassinat du roi de Fieschi (1935).

 

Conclusion

La dégradation de la conjoncture économique, sur fond de refus obstiné de tout élargissement du corps électoral et de scandales liés au clientélisme, contribuera de manière significative à la chute du régime, le 24 février 1848, avec l'abdication de Louis-Philippe Ier. La IIe République fut proclamée le 25 février par Lamartine et Ledru-Rollin. La crise économique survenue en 1825 avait également contribué à la disparition du régime qui avait précédé la Monarchie de juillet…

La Monarchie de juillet fut en résumé un régime politique marqué par la juxtaposition de deux courants de pensée opposés qui auront finaleme,t eu raison d'elle. Toutefois son histoire et son entreprise resteront riches en enseignements sur l'échec de l'éblissement d'une monarchie parlementaire en France et la transition vers le régime républicain.

 

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